Retrouvé un vieux texte d'une quinzaine de pages. En fouillant dans les boites d'archives et dans les tiroirs depuis bien longtemps fermés ... Je situe ces lignes dans les années 77/78
En voici quelques extraits :
1. Je rêve de vastes étendues monotones où le ciel est amour. L'herbe sous l'étreinte ploie et se couche. Le souffle du vent n'est qu'un long soupir mille fois réinventé et mille fois éteint.
Les hommes ici n'ont pas la peau usée par l'habitude. Ils sont forts et simples. Leurs mains sont meurtries par le travail avec la matière et elles sont belles.
Le soir quand le silence est aussi noir que la conscience ils s'assemblent dans la béatitude innée des premiers apôtres et ils prient le soleil avec la ferveur de leur voix profonde.
Ils ont la philosophie dans le regard et leurs yeux brillent d'un feu sans flammes. Ils ne parlent jamais qu'avec de longs silences entre les mots. Ils ont des mots toujours pareils qu'ils assemblent parfois de manière inconnue. Quand l'un d'eux parle les autres écoutent debout et jamais ne répondent avant de s'être assis.
Les femmes ici portent de longs manteaux qui foulent au gré de leurs pas l'herbe douce. Elles ont des cheveux noirs qu'elles ne coupent jamais. Leurs yeux changent aux couleurs du jour.
Elles ne parlent jamais et ne font que chanter.
Leurs corps ont la beauté des vagues blanches qui viennent s'éteindre sur le sable doré. Elles se baignent parfois et leurs voix éparpillées dans la mer la font battre d'un chœur à la peau chaude.
Il n'y a pas ici d'enfants et de vieillards. Il n'y a pas de cimetières. Les hommes n'ont pas de Dieu.
Le temps s'est arrêté un jour,
et depuis lors ces hommes et ces femmes ont oublié la mort.
2. Dehors. Il ne pleut pas. Ma ville. De gros nuages tournent dans le ciel rouge. Les passants sont arrêtés. Les automobiles se croisent et se dépassent à toute allure sans jamais se toucher. Dedans il n'y a personne. Parfois elles s'engouffrent dans les bouches de métro et l'on entend un bruit sourd qui remonte et perdure. C'est tout.
Ma ville. Certains passants ont la bouche ouverte depuis des années et un reste de paroles momifié s'étale à terre devant eux.
Hier. Ou aujourd'hui. Le temps n'a pas d'importance.
On entend que le clapotement régulier d'une goutte qui tombe de la gouttière d'en face depuis près de trente ans régulièrement toutes les trois secondes.
La vie est présente dans la surface du revêtement goudronné qui parfois se soulève et arrache quelques automobiles. D'autres fois il s'ouvre et crache des morceaux de tôles et de verres brisés. Sitôt revenus à la surface les débris se reforment en nouvelle automobile qui se remet à tourner.
Fatigué par ce spectacle banal et sans nouveauté je referme la fenêtre et je retourne dans mon livre.
3. Dimanche. Ma ville éteinte. Le ciel triste pleut. Il est quatorze heures et trente deux minutes. Quelques secondes.
J'écoute la Passion selon Saint-Mathieu. La deuxième partie. La musique emplit mon âme. Les arias coulent dans mes veines un sang nouveau et chaud comme le sable d'Afrique. J'ai abandonné l'inutile souffrance.
Dans le Grand Malheur la mort sourit. Ses lèvres sont pareilles aux peintures vénitiennes qui hantent les musées.
Dimanche.
L'autre jour nous primes le sentier aux chevaux. Tout y était étrange. L'étrange ne venait pas du réel. Il émanait de notre lecture de l'habituel. Nous étions sur le chemin de la connaissance. Il nous appartenait pleinement de poursuivre ce chemin vers les limites. A ce qu'il parait beaucoup plus loin que la ligne de perspective émerge du sol raviné par les eaux souterraines un lac.
C'est l’œil des marécages. Nous ne poursuivons pas le chemin jusqu'au lac simplement peut-être par fatigue momentanée ou peut-être encore à cause des oiseaux ou bien est-ce le vent de Mémoire qui nous siffla aux tempes que les sables devenaient mouvant aux abords de la flaque d'eau.
Nous ne fîmes pas marche arrière.
Nous arrêtons. Le soir déjà descend et la forêt s'allume de vagues de nuage qui vont et viennent de l'une aux autres sans s' interrompre. Le froid déjà fait rapprocher nos corps immobiles et muets. On entend maintenant une corne qui ronfle quelque part au bout su silence. Les bergers du quotidien ramènent à l'étable les bêtes éparpillées dans les prairies. Demain y est inscrit en page de droite.
Nous ne rentrons pas. Nous regardons le ciel qui sourit comme un enfant à sa mère avant qu'elle ne ferme la lumière dans la chambre abandonnée aux rêves.
La voix peu à peu se fait plus faible et s'éteint.
Il fait nuit. Nous sommes seuls et il n'y a plus que nos cœurs qui s'écoutent.
Je c'est Tu. Nous écoutons souvent de la musique.
Plus loin la ville dort maintenant de son sommeil pâteux et rauque. Il pleut sans arrêt dans la ville qui dort maintenant de son sommeil pâteux et rauque. L'eau s'échappe des bouches du métropolitain et roule dans les rues désertes. Parfois les employés du métropolitain qui sont préposés à la conduite des trains sont obligés de manœuvrer à la rame dans le tunnels car il n'y a plus d’électricité à cause de l'orage. Les voyageurs sortent des bouches en brassant et cela ressemble à des centaines de crapauds. Ils tiennent leur attache-case d'une main. Certains la coincent entre leur mâchoire. Cela dépend du poids et de la forme de l'attache-case. Cette forme a fait l'objet d'une étude de marketing qui figure à l'alinéa N° vingt trois mille neuf cent quatre vingt dix huit et trois centimes qui est postérieur de trente neuf jours vingt trois heures et quatre minutes dix huit secondes et quarante trois centièmes de millimètres à la note de service n° trois mille dix huit cent quatre vingt neuf et des poussières puisque la femme de ménage ou de service en congé de maternité depuis six semaines et quatre jours et trois heures vingt sept minutes n'est pas encore remplacée à cause des limitations d'effectif appliquées par la direction vue la circulaire n° deux en date du trente vendémiaire an non fixé.
Cette corrélation étroite demande un personnel sans qualification particulière.
Aujourd'hui je n'enlèverai pas un seul mot de ces écrits d'il y a quelques quarante années et plus ... Parfois en recopiant ces lignes j'avais l'impression de les écrire. Tellement elles sont présentes en moi. C'est à dire vraies.
J'en poserai quelques autres dans les éclats du temps à venir.