Le retour. C'est comme quand tu remontes un réveil en tournant la manette dans le sens inverse de celui où tournent les aiguilles. Mais il n'y a plus guère de réveils à ressort. Le temps se passe en silence. Le silence des cristaux. Liquides.
Nous écrirons dans le temps retrouvé. L'éloignement nous a tissé les mots de la distance. L'inévitable distance des occupations.
Quelques notes de Ravel à la radio, et elle m'entraînent déjà vers toi. Telles un lien doux, sereinement et qui s'étend à la nuit. La musique nous joint souveraine, et nous raconte à l'autre, par-delà les silences de l'hiver. Bientôt notre ville.
Elle nous érige. Elle jette au ciel ses lances vitriolées. Ses envolées barbares.
Des heures, quelques heures passées. Jean-Sebastien Bach et ses infaillibles croches, et doubles-croches. Discours qui ne jamais semble vouloir finir. Entretiens avec les étoiles.
Mais aussi les notes longues. Méditations tranquilles. Savoir.
Je vais rentrer. Bientôt. Sentir déjà ma venue ici. Sentir ton attente tendue. Sentir ton souffle qui me frôle, encore si loin de toi, balloté sur les lignes fluides du voyage.
Notre écriture. Les mots qui se jettent à l'autre. Les mots éperdus.
Les mots parfois insatisfaits de nous.
Mon voyage est ta quête. Mon voyage. Mon voyage si laborieux et d'ennui. Je m' ennuie sans fin de toi, bien au-delà des frontières alpines, et de la mer. Je m' ennuie de toi comme le jour attend le soir, dans la futile et passante lumière de ses heures.
Te retrouver en ville. Te reprendre à l'aube d'un train de nuit, juste échu à son terme en gare, où tu m'attendais si frêle. Quelques traits de l'artiste jetés au petit matin blème. Préliminaires à l'heure humaine.
Plus tard. Se jeter dans tes draps. Laisser le corps se tendre et la voix se perdre en amours. Le retour.
J'ai reçu les mots de Judith. J'ai lu son voyage. Une écriture.
J'ai retrouvé la banquette en Skaï, et son odeur si prenante et si rêche. Et puis, les maisons d'été. Car c'est en été que les fêtes s'organisent. J'entends le bruissement des insectes assoiffés de pollen. Qui vont et viennent sans cesser. Programmés. Déterminés.
Tu n'étais pas programmée. Tu n'étais pas déterminée. Tout juste étais-tu vivante. Ou peut-être seulement errante. L'errance allait si bien à tes vingt ans ensoleillés. Un simple bonheur. En odeur d'autorail. En crème et rouge.
Nous ne sommes que des passagers. Tout au plus il arrive que certains descendent à quai. Le quai où tu m'attends. Près du butoir. La fin du voyage. Je prends ton visage dans mes mains engourdies d'insomnie. Je te sens si fort. C'est comme si ton corps et le mien se diluaient là, sur ce quai un peu gris, de son matin pas encore bafoué d'inutile. Je te sens comme un animal. J'aime ton odeur un peu âcre et terrienne. Je l'esquisse en rêve quand tu es loin. Quand le ciel n'a plus d'images. Quand le temps se fait lourd de t'attendre.
L'écriture te garde à moi.