La vie prend les mots à la gorge. La vie se rappelle aux rêves.
L'arbre rouge n'est plus en fleurs. Les cerisiers sont en fleurs. Il n'y a plus beaucoup d'eau dans la cuve. Margaux disait la "cube"... Attention à la "cube"...
Les poissons risquent d'en souffrir. Peut-être même mourir.
J'ai rajouté de l'eau. Je ferai de même demain.
Les mots savent un retour. Les mots ne sont pas toujours tolérants. Les mots sont toujours exigeants.
L'histoire de Judith.
Quelle suite à donner? Ne pas s'égarer. Même dans les gares. Nos gares. Nos trains.
Un visage accroché à la baie. Vertige des tableaux qui passent et s'enfuient sans histoire. Imaginer les gens.
Je crois aux signes.
Les cygnes. Près de chez moi ils s'évertuent à de belles figures qu'eux seuls comprennent. Mais pour les humains c'est une géométrie de l'élégance. Il en est si peu.
Ici pas de cygnes mais des tourterelles. Les couples d'une vie. Depuis que le chat est mort elles se sentent mieux. C'est ainsi quand le prédateur meurt.
Néanmoins c'était mon chat ou plus exactement celui de la maison.
J'aime les chats. Depuis toujours. Les caresser me donne une sérénité différente. Leurs yeux sont émouvants.
J'attends tes mots.
Jeudi 29 avril 2010
Quand le train m'emmène à 300 km/h et que je vois défiler comme dans une exposition les tableaux de mon enfance, le Rhône, le nom de Valence, une végétation qui porte déjà le midi, cette lumière comme nulle autre...
Je pense à ce train mythique "Le Mistral" dont je n'ai jamais usé... et à sa belle 9200 Jacquemin, qui allait jusqu'à Marseille, où à l'époque une vaillante Mikado 141 R le reprenait vers sa destination terminale, Nice... Autre temps... Comme je me souviens, j'allais à la fenêtre du séjour. Le rapide 1 partait de la Gare de Lyon à 13 h 10 et quand il passait à Maisons Alfort, à 120 km/h [ le Tgv y passe toujours à cette vitesse... ] il était bien temps d'aller en classe. Apprendre le calcul ou l'orthographe... ou bien l'histoire ou bien je ne sais quoi...
Moi, je rêvais aux trains de rêves.
Mais je connaissais tout des 9200 et des voitures Inox du Mistral... et ça, c'était mon rêve à moi. Le rêve est toujours une forme de privilège.
Aujourd'hui, je regarde le Mistral sur un dvd et je me plais bien dans ce Tgv Duplex.
Autres voies.
Mardi 3 mai 2010
Avoir acheté les places assises dans le Tgv. En haut, toujours et côté fenêtre. Configuration duo. Avoir résisté à la tentation de la première classe. Une autre fois.
En hiver peut-être. Oui en hiver c'est mieux la première classe. Impression de chaleur.
Jouissance bourgeoise. Ou si peu.
L'essentiel, le voyage. L'aller. Les voyages sont notre écriture. Nos mots.
Il se peut que le silence installe des virgules longues mais jamais trois points. Le silence est de notre échange. Il nous construit. Il nous édifie. La musique est composée de notes, et de silences. De sons et de silence. Ce sont battements de coeur.
Le silence est le battement de nos coeurs.
Je crois que j'aime nos mots au-delà. Ils nous viennent de la souffrance. Ils naissent en douleurs, comme des enfants entre les cuisses sanglantes. La vie est châtiment.
De tes enfants luit l'écriture, et puis l'amour, et puis d'autres vies à-venir. Quelle simple merveille.
Une belle image du voyage tel qu'il nous est. C'est Florizelle, le divan fumoir bohémien qui me l'a envoyée. Elle est si belle et si juste. Quelle évidence... Quelle élégance, quelle délicatesse.
Une âme à l'unisson. Train de nuit. Aube frileuse entre café limpide et caresses. Dans le claquement régulier, sourd et bien lent, des essieux. Approche en gare.
Le quai. Descendre et pénétrer cette aube encore vierge. Enfin le jour. Marcher.
Jeudi 6 mai et vendredi 7 mai 2010
Le miroir. Y passent quelques feuilles entre l'oeil et le tain, vagues à l'âme en partance. Point noir qui s'exclame, figé dans le sol artificiel. Mots qui sortent de la bouche ainsi forts et défilent.
Quelquefois dans le miroir je sens si bien le ciel qui lèche mes traits usés, enlaçant lentement de son soir ma face endolorie. Je crois la nuit qui vient. Mais le matin déchire encore la noirceur à l'aube des lampadaires. Les rues font de longs boyaux qui se vident et s'assèchent.
Ta silhouette grinçante et grise parcourt la ville enjambant à grands pas friches et quartiers, ponts et noeux d'autoroutes, voies et gares, et les usines, les bureaux, les grandes tours et les basses besognes. Tu sais tout avaler, digérer, évacuer. Tu sais décomposer, diluer, liquéfier de tes sucs, les substances et les matières.
Quand les lampadaires s'en vont cesser leurs feux.
Quand la gare ne bat plus des essieux.
Quand la rue charrie ses fantômes à longueur de caniveau.
Quand le spectre m'assaille et s'ébroue de sa poussière.
Quand les temps n'ont plus de ciel. Plus de soleil.
Plus de lune.
Quand le miroir n'est que vitre sale.
Tu vas en bout des quais, plus loin. Dans l'enchevêtrement glissant des herbes folles, retrouver la carcasse égratignée, boursouflée, délavée, du vieil autorail. Les odeurs de l'huile et du gaz oil, depuis si longtemps disparus des réservoirs, flottent encore entres les banquettes desséchées, lacérées ça et là de larges blessures. La mousse s'en échappe comme s'il n'en était rien. Elle ne coule pas comme le sang. Elle reste figée mais molle.
Parfois tu la touches. Tu la caresses. Tu t'allonges sur la banquette et tu sens les excroissances mousseuses. Tes yeux se font à la nuit. Tu n'as pas peur des fantômes.
Tu allumes une cigarette. La fûmée danse.
Tu t'appelles Judith.
Je te rejoins, finalement quelque part au bout de cette nuit d'autorail. Je m'assieds face à toi sur la banquette opposée.
Je te regarde fumer. Les volutes enlacent ton visage aux yeux qui me fixent. Ton regard me pénètre et je sens la fûmée glisser dans ma gorge.
Tes seins m'évoquent les collines toutes proches, sensuelles et douces, aux formes alanguies de la maternité. Ton ventre se soulève juste un peu quand tu respires. Il me dessine une source juvénile, attentive au pécheur, celui qui sait traquer l'omble chevalier, au creux des petites vagues étincelantes. Mes yeux parcourent doucement ton être couché là, sur cette banquette usée, d'un autre age. Instant précieux.
Notre écriture nous lie comme notre sang.
Même rhésus.
Mêmes mots.
Les phrases se fondent et se font en elles, mais savent cheminer leurs chemins de solitude, et de souffrance. Retrouver alors la chaleur simplement nue d'un clavier à quatre mains. Jeté non sans préméditation aux heures. Les heures sans aiguilles.
Aimer seulement ce temps infiniment donné à notre accord.
Dans les petites gares s'arrétaient les Picasso. Retours de marché. Aller à la ville.
L'enterrement d'un vieux cousin.
Débarquer de la Capitale, un fier midi quand la chaleur casse les membres et plie le dos vers la route. Monter la côte. Longuement, comme sans fin.
Enfin entrevoir la fin du voyage. Esquisse mortelle. Ecrire comme on dit.
Du moins, le croire.