Il ne vient peut-être plus de train ici. La gare est abandonnée. Volets clots ou défoncés. Les herbes enfouissent peu à peu les rails en mémoire. Aucun sifflet ne déchire maintenant la nuit.
L'odeur de la mort stagne.
Pas bien rentable cette voie. Liquidons-la. La modernité ne s'encombre pas des reliques ennuyeuses et surtout déficitaires.
Il faut construire l'avenir. Et même sur les ruines. Aller de l'avant toujours. Essayer d'oublier la mort.
Être durable.
Imaginer demain. Inventer notre bien-être. Être disait-il...
Nous ne sommes qu'un hasard de l'évolution.
Inventer Dieu.
Inventer l'Au-Delà.
L'eau de-là. Nous finirons peut-être de soif. Test d'hydrolémie: vous avez bu trop d'eau ce soir. La limite individuelle est de 0,5l/jour. Vous êtes en infraction. Votre permis de vivre vous est retiré. Restez sur le bord du chemin.
On passera vous ramasser.
Aseptisons le monde. Le rendre lisse.
Pur. Sécurisé.
Brûler la culture. D'autres avant en ont eu idée.
Purger la différence. Nettoyer au jet. Jeter.
Les disciples ne sont jamais à la hauteur des maîtres. L'histoire. Encore l'Histoire.
Un peu de pensée dans ce monde à écrans plats.
Il fallait liquider la ligne. En finir avec ce passé trop lourd. En finir avec la simple vie de la ligne.
En finir avec ce trop humain.
Tu t'en souviens de la gare?
Ta petite valise. La côte. Le ciel écrasant. La senteur sèche des blés de juillet.
La lente et minutieuse montée. L'ascension.
Et puis, enfin, le terme.
L'eau. Tu la sens si fort couler dans ta gorge. Elle t'apaise et te fait le signe de vie. Son verre est si banal. Un verre de cuisine. Du verre blanc.
Je t'aime si fort sous le soleil ardent.
D'autres s'attachent avec idiotie à détruire la ligne.
Depuis la gare est fermée. Un grillage. Tout juste avant les barbelés.
Le train passe. Il ressemble à un autocar. Il est laid. Il ne sent rien.
Il se glisse comme en sifflant comme un serpent. Quelques voyageurs tristes regardent les vaches.
Les vaches n'ont que faire du train qui passe. Elles en ont vu d'autres les vaches.