Il se fait temps de clore.
Notre écriture.
Les émotions ne se plaisent pas à la redite. C'est l'automne. Les feuilles qui tombent. Les feuilles qui meurent et s'en vont, simplement vers l'incinérateur. Maintenant. Il faut tout incinérer. Brûler techniquement.
Construire un avenir proprement.
Duquel serait banni toute forme de possibles.
La ville se grise. L'ennui me colle à la tempe. Se résoudre à la forme attendue de l'absence. S'adonner au silence inquiétant des rues anonymes. Des places. Des squares et encore...
La ville oublie tes pas et lâche ta main. L'hiver engourdit tes doigts en berne.
La locomotive tourne en rond sur le bureau. Quelques secondes pour faire un tour de circuit. Ce n'est que pour rôder le nouveau moteur électrique. Un petit moteur à courant continu et les bielles se mettent en jeu. Comme au vieux temps de la vapeur. Des Pacific et autres Mikado. Celle-ci c'est une 230. Une P8 venue de l'ancienne Compagnie des Chemins de fer Prussiens. C'était une des machines de vitesse de l'ancien réseau. Au crochet les grands express. Les étendus givrées de décembre. Les verdures empreintes du printemps. Les wagons de bois qui s'éparpillaient bien lors des accidents et prenaient feu en quelques minutes. Vaste temps où le temps gardait encore son possible. Toute rencontre s'attachait l'exquise incertitude. Le voyage donnait aux phrases le poids des silences et la respiration de vos soupirs.
La P8 roule maintenant tender en avant. Il faut bien parfaire le rodage dans les deux sens de rotation du moteur. En réalité la P8 était mal à l'aise le tender en avant. Instable. Ce n'était pas sa vocation.
Sans doute prendras-tu l'ICE pour rentrer. Juste le temps d'un café trop acide au bar. Et quelques regards jetés sans âme sur les champs détrempés par les dernières pluies. La terre bien trop sèche ne peut absorber comme il le faudrait ces pluies venues trop tard et trop brutalement. Elle rejette et s'étrangle. Se meurt doucement. Tailladée de routes et tachée de nos rejets obscurs. Et puis déjà l'entrée en ville. Aujourd'hui on entre en ville de loin. Les vieilles portes fortes ne sont plus là qu'arrimées à leur mémoire. Vestiges. Souvent bien gardés. Elles qui veillaient sur les sommeils des cités. Elles n'en peuvent plus, parfois, de noircir et de vibrer aux flots imbéciles des flux citadins.
L'abord en gare se fait en douceur. La rame se glisse à quai comme toi. Quand tu viens me rejoindre sous les draps. A peine un frémissement de la nuit. Ton odeur s'épanche en moi avec lenteur.
Nous ferons l'amour au tout petit jour. Encore si engourdis d'un sommeil en wagons bleus.
Fondre le réel. En finir de cet ennui qui encombre les caniveaux. L'habitude tue. Les habitudes rendent moroses et enfantent la mort. Nous ne supportons pas
l'enfermement sournois des jours. Nous avons besoin des matins de lagune. De l'âcreté blême d'un ciel triste. De la senteur du blé mur qui s'épanche au soir d'été...
De l'oiseau de nuit qui nous émeut de son cri déchirant la pénombre fantomatique de la chambre aux volets que nous avons laissés ouverts et qui nous portent la lune
De l'ombre qui craque sous les pas peut-être d'un esprit romantique et qu'il nous plaît tant d'inventer quand mes doigts s'attardent à goûter le plaisir subtil et vagabond de ta peau juste-là, en orée de l'amour aux frontières du possible
Du voyage en wagon bleu pour serrer la nuit entre tes bras alors que passent les stations si blêmes
Besoin disais-tu, besoin au juste besoin de toi ici - dans l'insupportable solitude des murs
dans l'infinie déambulation de mes heures
Je ne t'attends plus, je cesse d'inventer ta voix - ta marche - tes phrases aléatoires et stupides
ton sourire sournois et ton rire imbécile
Je vis ici seul. Maintenant. Près d'ici filent les trains. Ils me sifflent à la nuit parfois quand le vent vient de l'ouest. Ou peut-être de l'est. Je n'ai pas le sens des cardinaux. Les hommes en rouge. Le sens de la scène.
Je vis seul ici. Avec le chat. Tu vois. Je vis seul avec le chat. Il me comprend. Si mieux que toi. Il est attentif. Caressant. Subtil. Discret aussi. Ce n'est pas comme toi.
Ton port prétentieux. Hautain. Ta marche condescendante. Faussement affable. Tellement hypocrite et sentencieuse.
Je vis seul ici. En amours de passage. C'est bien ainsi.
Je t'ai jeté(e) à l'oubli des composteurs. Tu feras l'avenir des potagers.