J'aime cet esprit russe. Oui, cette tragédie d'un soir. Cette navrante insomnie. Cette symphonie de l' Oural. Cette blonde si tendre et murmurante. J'aime ton errance. Ton ivresse incandescente. Ta nuit de steppes.
Tes chavirements de l'âme. Tes soupirs en quète du sommeil. Tes amnésies éthyliques.
Ton goût pour les volutes. L'incorrigible volupté.
Le matin. Le blanc sec. C'est comme un homme à-venir qui te pénètre. Tu sens l'onde qui chante. Tu laisses en toi monter le chant. Le chant de ta nuit. Nue, au jour. Le chant de tes nuits dures. Fertilités.
La longue tragédie du monochrome. Ta frêle esquisse en apnée. Le trait qui nous plie. Enfin.
Le delay. Moi je sens plutôt la pédale du piano.
Tu sais. Celle de droite. Enfoncée tu lâches les touches et le son se perd. Il se perd comme nos âmes en vacance. Il tourne dans la fonte et le bois, s'envole et se heurte aux cloisons trop humaines. Parfois il touche au coeur.
Alors tu pleures.
La pédale droite c'est quand tu vois le signe sur la partition, et puis une sorte d'étoile, pour lever le pied. Mais tu le sens. Tu ne suis pas la typographie. C'est ta respiration. Ta phrase.
La nuit est sereine. " La lune était sereine et jouait sur les flots"... Je me souviens de ce poème de Victor Hugo. Si bien. Quelque chose de mon Bac...
"La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots."
Le recueil se nomme "les Orientales". Je l'aime bien, Victor. Ces vers me donnent parfois les frissons bienheureux de l'âme. C'est comme nos promenades enviées dans les vastes allées des châteaux de notre domaine. Nous y poseront nos mots. Nos vagues somnolences et nos amours touchantes.
Et alors, nous sentirons le poids et la force des fers. Et le soir nous bénira, de sa si touchante nostalgie.
Mercredi 6 octobre
Demain le chiffre sept. Je sens avec assurance un temps mort. Je n'ai pas tes mots ici même. Je t'écris de mémoire.
D'autres écrivent l'Histoire. Le chêne. On croise en vie d'autre vies. On s'imagine important. On se construit sa nécessité. Imaginée. Rêvée peut-être. Mais on n'est rien. Rien du tout. Le Tout.
Parfois les sons jouent avec ton enfance. Tu sais bien, ta robe de fête.
Tu t'éprends d'une ligne, d'un sein que le soir te dessine, d'une aube à la fenêtre, qui t'effleure à la manière d'un artiste. Tu t'éprends. Tu te dis, c'est l'élue. L'élue de ta voix. Ton désir lui ouvre le corps. Ou peut-être seulement la "naissance du monde". Tu t'y tiens. Tu crois à l'oeuvre de l'art, à la peinture de ton musée.
C'est là ton errance. Tu sais l'errance. Toi. Tu sais mon errante.
Ma louve.
Nous cherchons si bien dans les sentes frissonnantes. Mon chiffre sept.
Samedi 9 octobre
Cette nuit le sommeil ne me prend pas. Il m'évite. Il se sent libre de moi. Il me faut bien écrire. Juste un peu. Pour tromper l'inévitable tentation de l'abandon. L'inévitable somnolence de l'âme.
Les artistes étreignent la nuit. En ligne. A fleur de rêve. Leurs bras brassent le ciel étoilé.
Je rêve à quelque train qui creuse la nuit. Tu gis dans ta couchette de deuxième classe. Six. Je crois, par compartiment. Juste pour partager les rêves.
Oser l'autre.
Au bout la mer.
Le Chant du matin. La lumière qui te gicle au visage. Et le sifflet de la Mikado qui salue quelque femme au "pn". Le voyage est notre vérité, notre issue. Notre chance.
Le voyage est notre rencontre. Salle des pas perdus. Ainsi l'on se retrouve. Enfin.
Il me tarde d'être ici. Ma russe. Dans une autre vie tu devais être blonde. Oui, c'est bien ainsi. Et les yeux qui s'échappent vers les lentes terres. Et le chant des loups la nuit pour tenir ton éveil. Ton désir est ainsi. Tendu à la nuit.
Te laisser prendre en inconnue.
Sans savoir.
C'est bien ainsi ma louve.