MATERNITéS
à l’Alchimiste,
1.
Mais que veut la vie ? Parfois, j'embrasse le soleil d’été, et parfois c'est la nuit qui se donne, telle un grand silence. Il faut être. Mais que veut le verbe ? Aimer, si l'on peut. Accomplir,
et tout juste. Les mots ne justifient rien. Transformer l’attente, re-fléchir le temps. Pour y jouir d'un chant de l’esprit. Les questions ne valent que par le coeur qui les reçoit. Les
porter au vent, enfle l’inaccompli.
2.
Remonter à l’origine. La naissance pour envisager la connaissance. L’eau coulait et chantait le jour. Une aube blanche, juste posée sur le fil de la nuit, et le grondement sourd du ventre. La
voix ose la première musique, à peine portée. Un gazouillis qui gratte la chaux nue des murs.
3.
La première parole, jetée à la fente du Ciel. Se donner à même la crainte. Et toujours, le halètement presque sauvage de la mer. L’écume broie déjà le noir des jours ténus. Le ver s’insinue dans
la gorge de l’esprit comme un sillon mouvant. Le fruit se dessine.
4.
Les volutes du froid tournent dans la lumière âcre de l’aube. Les mains s’identifient le geste rituel. Mais que veut la vie ? Etre, au-delà du verbe, le mot touche le corps. Là, dans la caverne
chaude, empêchée de l’âme. Dés l’heure, le chemin est ouvert, les pas conduisent sur les pentes raides du coeur.
5.
Les yeux cherchent la couleur, mais la voix apprivoise le cri. Bien avant le retour au lit mouillé de l’espèce, le cri emplit la tête molle. Les cheveux échafaudent à loisir le simulacre de
puissance. Tout sera prêt bientôt pour l’incroyable.
6.
Mais que veux-tu, l’alchimiste ? L’Or est au coeur de l’Ilse. La main doit se tendre fort pour toucher la fusion. Se brûler aux rives du désir pour comprendre le temps de la vie. Au soir, la
lumière fait silence et l’homme s’abandonne à la lune pleine et ronde.
7.
Que faire du Temps ? L’inscrire en ombre sur les portées de la rencontre avec l’innocence, ou l’arrêter sous le regard. La marche conduit le voyageur et ce sont les nuages qui tiennent toit pour
les nuits. Changer l’argile ingrate et ténébreuse en vastes plans de lumière soyeuse promise à la moisson pour que la pluie du matin n’ait pas été vaine.
I
Car il faut que ta Nuit s’éclaire
et que le jour bâtit d’amour
en terme l’éphémère
pour ne plus tressaillir des heures lentes
et qu’enfin l’Inutile crève le silence
triste des errances
et qu’enfin l’ombre portée de l’Attendue
chante car cette parole a tracé sillon
II
Car il faut que s’écrive la quête
et qu’enfin la Mémoire coule en avenir
le blé mur de la semence
sentir germer le geste de l’enfance
et qu’alors le gel se garde la souffrance
en écriture du chemin
Aller en amour par la crue blancheur de l’aube
car le pauvre s’est vêtu en couleurs du jour
III
Car il faut que la peur s’efface
antique
Car la source est mystère et pardon et première
tant c’est au coeur qu’elle parle
Et à l’orée du premier jour l’homme s’en vient de quitter les vallées basses. Las, son oeil jette encore le regard froid qui met les choses à nu.
Et au deuxième jour l’homme laisse les fleurs et les pierres des hauts-plateaux ouvrir son coeur d’homme. Sa marche lente et légère s’unit à la terre, sa mère. Parfois encore les larges plaies
blanchâtres ont écrit pour sa mémoire des traces de douleur.
Et au troisième jour l’homme qui marchait sentait son coeur devenir plus léger que l’oiseau. Toute chose était nouvelle et la sente serrait plus fort ses pieds nus. L’ascension ne coulait
pas de sueur acide à son visage et portait seulement à sa bouche les tendres larmes de la connaissance.
Il était juste différent. Sans doute il ne connaissait pas la peur. A ses origines il n’y avait que l’eau et l’air.
Et l’Ange avait dit : de l’eau viendra ce qu’il t’a donné.
Et l’Ange avait dit encore : de la terre viendra sa force et sa mémoire.
Et l’Ange s’était tu.
Alors tu avais bu à l’eau qui vient de la montagne et alors tu avais donné au vent ton regard et le silence de ta voix. Et longtemps ainsi tu étais. Et l’aire avait lavé le corps de l’inutile et
l’air avait purifié l’esprit emprunt d’idée. Il pouvait se couler en toi et te pénétrer l’âme au coeur. Après quoi le sommeil te livrait le rêve nu et t’ouvrait à l’Origine.
Et l’Ange prit ton angoisse en écoute.
La mort m’accroche enfin le rire
lignes du temps en fuite
dans l’enchevêtrement des révérences
la tête vide ancrée en coin de silence
à perte de vie
lointainement déjà et sans regard
avec les yeux qui mangent la terre
avec le coeur qui s’écoule
et le sang qui s’encre en mémoire
en ce matin d’été l’être caresse l’aube
et déjà l’incision des gratteurs d’histoire
L’érudition en foule accourt
et palpitante le faisceau pointé te montre de son pouvoir la chose morte
la folie s’affaire ordinaire à sa tâche
mais l’âme court
et court, libre d’aimer
Et l’Ange dit : la vie est en toi pour le sourire de l’amour. Vas.
Il n’est pas de mystère à la vie.
Puisque tu es, il n’est plus d’attente à ton coeur, et le temps t’est donné.
Michel Berthelot . 1997
Maternités 96 Collage sur carton
© Michel Berthelot 1996